Les oubliés du confinement !
Notre psychothérapeute Corinne Riest, fait suite à son premier article de réflexion sur le confinement, pour maintenant nous parler de tous ces « héros », ceux dont on ne parle pas : les oubliés du confinement.
Est-il besoin de rappeler que toute personne qui exerce dans un lieu de soin, dévouée aux personnes âgées, toute personne qui gère le déplacement des marchandises et des gens, qui œuvre pour nos besoins alimentaires, distribue notre courrier, instruit nos enfants, délivre nos médicaments, ramasse nos poubelles, nettoie nos hôpitaux et nos villes, maintient l’ordre avec civilité… et la liste est longue, sont des « héros « en cette période d’arrêt du monde ? Des hommes et des femmes qui à ce jour portent le monde, soignent les plus affaiblis quand, risquant eux-mêmes de le devenir, ils se montrent fidèles à leurs postes, leurs consciences professionnelles et humaines pour seul moteur. Face à ces gens-là, qui heureusement ne demandent pas à être adulés, mais protégés, on est admiratif et on en parle, on les applaudit, et on devra en parler encore.
Mais il y a les autres, ces héros du confinement qu’on ne voit pas. Qu’on connait, soit dit en passant, mais dont on ne sait rien. A eux, on leur a demandé de se retirer. Ils ne sont pas sur le devant de la scène, pourtant ils sont au front, en première ou deuxième ligne qu’importe, en tous cas en grand danger puisqu’en proie à leur propre « guerre humanitaire ».
Ils sont seuls et tellement vulnérables que, sans le soutien d’humains dignes de ce nom, ils sont « perdus », « perclus » et invisibles à notre œil aguerri. Certains souffrent beaucoup, sans le dire. A qui d’ailleurs pourraient-ils le dire puisqu’ils sont seuls. Sont-ils les grands oubliés du confinement ? Déjà avant leurs vies n’étaient pas simples, mais là encore moins.
Ces héros-là se comptent par millions. Difficile de s’y projeter tant leur situation est périlleuse. Certains ont la chance d’habiter dans un endroit à taille humaine, ont une petite maison, un jardin, comparés à ceux qui font les quatre cents pas dans leur petit appartement au vingtième étage d’une tour. Ces gens-là, nombreux ne reçoivent plus de soins, plus de visites, n’ont peut-être même pas internet puisque, sans ordinateurs, ni téléphones portables parfois.
Perte des repères, solitude et isolement
Avec le confinement certains ont perdu le peu de repères qu’ils avaient encore dans leur vie, et sous le prétexte, bien évidemment tangible, de les protéger de nous et de nos potentielles contagions réciproques, on les abandonne à leur propre sort. Les plus chanceux peuvent échangés quelques paroles au téléphone, osé un bonjour furtif à la boulangère, mais rien de plus. Car dehors, plus personne ne s’arrête ni ne parle non plus, le nez enfermé sous les écharpes ou sous le masque pour ceux qui en ont un. Ils sont seuls ces gens-là, et parfois ils ont peurs. Pas tant du virus puisqu’ils ne sont plus proches de personne, mais de la solitude et de cet isolement qui les déborde de partout du matin au soir. Leur seule compagnie, la télé cette présence salutaire, mais qui leur fait quand même peur avec ses informations.
Pourtant ils s’y essaient vaillamment au confinement.
Parfois les héros sont seuls et malades. L’hôpital de jour a fermé, et le personnel médical plus trop disponible. Et qu’ils soient dépressifs, bipolaires ou schizophrènes, borderlines ou en proie à un trouble anxieux ou de l’humeur, ils ont été réquisitionnés par le pouvoir de l’Etat à rester chez eux, dans leur appartement thérapeutique pour certains. Et leur rôle s’arrête là, avant même d’avoir commencé. C’est un sacré boulot qu’on leur demande là, pour aider la société, surtout si on est un brin claustrophobe : rester cloîtrer durant des jours, des semaines, sans voir personne et sans recevoir de soin psychologique et psychiatrique. Pas même besoin de se déplacer chez son médecin pour le renouvellement de l’ordonnance du mois, l’Etat a décidé, afin d’éviter la propagation du virus, qu’ils puissent utiliser l’ancienne, exceptionnellement valide jusqu’à mai. Plus personne donc, ou si peu. Alors ils tentent d’équilibrer au mieux tout ça nos héros qui se battent seuls contre leur maladie mentale. Ils ont tenu huit jours, douze jours, maintenant seize, en proie à des angoisses paranoïaques parfois, (la situation la créant d’elle-même cette parano) mais jusqu’à quand vont-ils tenir le confinement ? Vont-ils craquer ? Décompenser ? Se suicider ? Descendre dans la rue pour respirer, être en lien, et subir en plus la colère des gens bien-portants qui ne sauront pas ?
Les enfants
Parfois les héros changent de visage. Ils sont petits et maltraités. Le parent violent est là à chaque instant de leur vie maintenant. Le parent violent s’ennuie, il n’a plus son boulot pour se canaliser un peu, la sortie au dehors pour atténuer sa colère. Alors il s’énerve, se sent étouffer, manque d’air de tant de jours de confinement. Il explose sur son enfant qui ne comprend pas. C’est pareil d’habitude, mais là c’est pire. Ils sont seuls ces enfants-là, enfermés dans leur chambre, lorsqu’ils en ont une, les enfants maltraités. Le confinement les a posés là, sous les coups directs de leur bourreau. En permanence. Plus d’école, plus de travail, plus de sport, plus de copains, plus rien et aucun moyen d’être aidés, sauf de s’isoler encore plus, confinés dans le confinement. Ils sont des héros transparents. Ils ont cinq ans, dix ans, quinze ans et sont maltraités ou incestés. Encore plus que d’habitude.
Les femmes
Parfois les héros sont des femmes. Elles sont battues. Des femmes douloureuses qui n’ont pas encore pu franchir le pas, de partir. Sans argent, sans travail, sans famille et la peur au ventre. Le conjoint est violent. Il a fait son travail de sape durant des années alors la piètre estime qu’il leur reste d’elles-mêmes ne suffit pas à amorcer le départ. Ce qui fait que, tous les jours de ce triste confinement auquel elles sont astreintes, elles se font plus discrètes encore, parce qu’elles savent qu’il faut contenir la violence de l’autre, sa colère, pour éviter le séisme à l’intérieur de l’appartement ou de la maison. Parfois de la chambre à coucher. Alors le confinement se passe dans le silence, à éviter les éclats de voix, et chaque jour passé dans le calme est une victoire. Chaque jour de confinement qui passe un sursis.
Les personnes addicts
Parfois les héros sont seuls et ils boivent. Les addicts à l’alcool, les alcooliques, ces gens dépressifs qui vivent dans la dépendance, qui ont remplacé les anti-dépresseurs et les anxiolytiques par l’alcool. Leur existence c’est elle, ça pourrait aussi bien être la drogue, la boulimie, l’addiction en général. Puisque leur maladie est le manque et la compensation la réponse. Maintenant seuls et confinés ils sont plus malheureux encore qu’hier quand, sans les moyens ni la force de se séparer d’elle, la bouteille est là chaque jour comme une meilleure amie pour oublier ou une meilleure ennemie pour plonger. Plus de travail, plus de collègues, plus de petit café au bar du coin, plus de moments d’évasion dehors pour éloigner un peu tout ça, plus d’habitudes, ni de rituels de vie garantissant quelques repères.
Les personnes âgées
Il arrive aussi que les héros soient vieux, très vieux même. Les vieilles et les vieux. Ces deux mots empreints de tendresse. Ils sont seuls parce qu’après quelques décennies de vie commune, leur amour les a quitté pour l’au-delà. Les laissant parfois dans un vide sidéral. Et ils se retrouvent là, désappointés à errer dans la vie. Seuls. Alors ils la remplissent avec des choses à faire, la gym douce, les cartes, la marche, l’Université du temps libre, un peu comme des enfants. C’est bringuebalant comme équilibre, mais ça fonctionne. Et ils reprennent vie doucement. Et puis le confinement arrive et c’est de nouveau la solitude à la maison. Finies les activités et la famille, en plus de la peur de l’attraper, ce fameux coronavirus puisqu’ils l’ont dit à la télé : ce sont d’abord les vieux qui en meurent. Ils se croient contagieux. Ainsi, craignant de les contaminer, ils ne demandent rien à leurs enfants quadra, quinquagénaires qui devraient venir les voir mais ne viennent pas, pour le protéger lui aussi du covid-19 : son vieux parent. Alors ils dépriment de solitude, nos vieux, sans vraiment comprendre ce qui arrive. Ils ont 70, 80, 90 ans ou plus, ils n’ont jamais connu une telle chose de toute leur vie.
Les personnes malades
Parfois les héros sont seuls et malades. Ils souffrent d’un cancer, d’un diabète, d’une maladie auto-immune, d’une obésité, d’hypertension, d’une maladie de coeur… Ils ont besoin d’une opération chirurgicale mais elle est reportée. D’un examen, d’une IRM, reportée aussi. Le coronavirus est passé par là, et alors que l’hôpital était un lieu rassurant, c’est maintenant un lieu interdit et dangereux, où le petit virus invisible rode. Il faut donc éviter ce lieux vécu non plus comme un lieu de soins, mais de contamination. Il ne leur reste alors que leur peur de la suite, de ne pouvoir être soigner, de craindre la mort. Ceux-là d’eux-mêmes se cloisonnent et s’isolent pour ne pas empirer leur santé déjà fragile. Ils pensent qu’avec leurs fragilités, ils pourraient en mourir du covid-19.
Les sans-abris
Il arrive aussi que les héros n’aient pas de maison. Pas plus que d’appartement ou de cabane dans le fond d’un jardin. Sans domicile fixe disons nous aujourd’hui. Peut-être un paquet de cigarettes humide et une bouteille pour se réchauffer à proximité, comme seules richesses. Un chien aussi parfois. Leur animal sauveur. Ces gens-là gentils ou moins gentils, puisque notre société les a parfois mis en colère, restent pour certains dans la rue. Alors qu’on enlève aux autres le droit de la rue, eux on les y laisse, seulement il n’y a plus personne pour remplir de pièces le creux de leur main et, le temps qu’on s’organise, c’est encore plus la pénurie.
Et pourtant,
Comme rien n’est jamais en blanc ou noir essentiellement, il se peut que certaines personnes s’y retrouvent, malgré tout dans ce confinement, comme un espoir, timide et fragile de changement en profondeur. Les gens érudits aussi, les conscients de ce monde, les intellectuels, les lanceurs d’alertes qui nous préviennent, les humanistes que nous sommes, les gens qui travaillent, ceux au chômage, qui y verraient l’ouverture possible à un élan de solidarité plutôt que mondialiste. Les gens nombreux, majoritaires sans doute qui, inadaptés à cette société telle qu’elle s’inscrit aujourd’hui y verraient un changement de paradigme enfin réalisable. Et tant d’autres encore.
Après tout « s’adapter à un monde malade n’est pas forcément un signe de bonne santé ».
Rédigé par :
Corinne Riest, psychothérapeute
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